mardi 3 mars 2009

Des endives et des endymions

Aux amis du chicon, je ne saurais trop recommander la glose désespérée que lui consacra Pierre Desproges (in Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis). « Fade jusqu’à l’exubérance », ce légume imprègne qui le consomme au point que « l’homme qui s’adonne à l’endive est aisément reconnaissable, sa démarche est moyenne, la fièvre n’est pas dans ses yeux, il n’a pas de colère et sourit au guichet des Assedic ». On ajoutera que l’endive et le prolo ont encore cela en commun d’être obtenus par forçage dans l’obscurité. Or au sortir de l’hiver, les endives guadeloupéennes trémulent de la paupière. On les croyait bel et bien blanchies, mais par une endivine surprise, les endives reprennent des couleurs. Hélas, d’outre-tombe, Desproges n’écrira pas d’hommage au radis noir.
Pendant ce temps, perce en nos chemins sylvestres le vert décidé des endymions penchés dont les bleues corolles embaumeront le printemps naissant, mais moins bien quand même que n’odorifèrent entre les gondoles des grands magasins les vesses alambiquées des parfumeurs industriels. Le mystère de l’endymion penché réside en cela justement qu’il penche. Pour qui, pourquoi ? La réponse n’est pas à la hauteur de l’espoir suscité par cette fleur gracile et précoce. Le berger Endymion obtint de Zeus qu’il demeurât plongé dans un sommeil sans fin, de sorte qu’il ne vieillirait point. En réalité, si l’endymion penche, c’est qu’il s’apprête à tomber de sommeil.
Dans le sombre purgatoire de l’Avaleur-Travail, la fade et souffrante endive s’éveille et se dresse. Dans l’Eden arboré, l’endymion, bel indifférent, penche et pionce. Emerge de ton rêve, Endymion, entends le cri des endives en colère : « chiquons ! chiquons ! chiquons ! ».